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"Des livres et vous", pour penser les mots et s'envoler, libres, vers d'autres temps et d'autres horizons...

Des livres et vous

Les hirondelles de Kaboul - Yasmina Khadra

Le langage est  fluide, parfois poétique, philosophique même, posant avec des mots simples des questions essentielles, la vie, la mort, l'amour, la résistance, la lutte, l'abandon de soi... La question de l'identité, aussi. Qui est-on, qui s'autorise-t-on à être sous un régime despotique comme celui des Talibans, qui vous vole jusqu'à la plus petite parcelle d'identité ?

Les hirondelles de Kaboul - Yasmina Khadra

4ème de couverture

Dans les ruines brûlantes de la cité millénaire de Kaboul, la mort rôde, un turban noir autour du crâne. Ici, une lapidation de femme, là, des exécutions publiques, les Talibans veillent. La joie et le rire sont suspects. Atiq, le courageux moudjahid reconverti en géôlier, traîne sa peine. Le goût de vivre a également abandonné Moshen, qui rêvait  de modernité. Son épouse Zunaira, avocate, plus belle que le ciel, est désormais condamnée à l'obscurité grillagée du tchadri. Alors Kaboul, que la folie guette, n'a plus d'autres histoires à offrir que des tragédies. Le printemps des hirondelles semble bien loin encore.

"Un cri déchirant au coeur de la nuit de l"obscurantisme." Alexandra Lamasson - Le magazine littéraire

Je suis persuadé que je ne saisirai jamais tout à fait la pensée des femmes. A croire que leur réflexion tourne dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. Que tu vives un an ou un siècle avec une concubine, une mère ou ta propre fille, tu auras toujours le sentiment d'un vide, d'un fossé sournois qui t'isole progressivement pour mieux t'exposer aux aléas de ton inadvertance. Avec ces créatures viscéralement hypocrites, plus tu crois les apprivoiser, et moins tu as de chances de surmonter leurs maléfices. Tu réchaufferais une vipère contre ton coeur que ça ne t'immuniserait pas contre son venin. Quant au nombre des années, il ne peut apporter d'apaisement dans un foyer où l'amour des femmes trahit l'inconsistance des hommes.

Les hirondelles de Kaboul - Yasmina Khadra, Ed Julliard, Paris 2002, p.25

Images tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina Khadra
Images tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina KhadraImages tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina KhadraImages tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina Khadra
Images tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina KhadraImages tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina Khadra
Images tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina KhadraImages tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina KhadraImages tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina Khadra

Images tirées du film d'animation Les hirondelles de Kaboul, réalisé par Zabou Breitman, inspiré du roman de Yasmina Khadra

J'ai profité de la sortie de l'excellent film d'animation de Zabou Breitman pour lire ce roman, au sujet duquel j'avais lu maints commentaires élogieux. A juste titre.

Les hirondelles de Kaboul, c'est l'histoire de deux couples : Atik, aujourd'hui géôlier d'une prison où sont incarcérées les femmes en attente d'exécution, et sa femme Mussarat, très gravement malade, à l'article de la mort ; et Moshen et Zunaira, deux jeunes étudiants instruits et éperdument amoureux l'un de l'autre, promis à un bel avenir avant la prise de pouvoir des Talibans. Mais voilà, les Talibans sont arrivés, et tout a changé ; pour les femmes bien sûr, recluses sans espoir d'avenir ni liberté, mais aussi pour les hommes, contraints de voir leur pays sombrer dans la désolation et leurs femmes maltraitées. Ce régime obscurantiste et cruel, où chaque source de joie est péché, impose sa folie destructrice à toute la population, qui sombre petit à petit, jusqu'à ne plus se reconnaître. Le jeune Moshen, cultivé, moderne, s'effondre après avoir participé, sans réfléchir, porté par une foule déshumanisée, en trance, à une lapidation de femme; son épouse, la belle Zunaira, lui pardonnera-t-elle ce nouvel affront à sa condition féminine, elle qui est condamnée à vivre dans sa prison de tissu ? Les personnages se perdent, se trouvent, se questionnent, sur leur situation, le sens de cette vie. Rester ? Fuir ? Lutter ? Mourir ? Autant de questions qui les assaillent devant la ville en ruines, une ville sans joie où ces quatre destins vont fatalement s'imbriquer, jusqu'au dénouement tragique. 

Les personnages, dans leurs errances, sont profondément attachants ; même Atik, le plus proche du régime en place, est assailli de questions qui le rendent touchant : celle de la loyauté envers Mussarat, son épouse malade dont il n'est pas amoureux mais qui lui a sauvé la vie, que les Talibans lui conseillent de répudier et de remplacer par une jeune vierge, et puis, sa faille, sa faiblesse, ses sentiments naissants pour Zunaira ; dans ce monde apocalyptique, il y a donc encore de la place pour des attirances, des émotions qui vous renversent et bouleversent toutes les certitudes. Mussarat, magnifique dans sa douleur, prête pour son époux à tous les sacrifices, par amour. Par amour, dans ce monde-là, cela signifie beaucoup plus encore qu'ailleurs. Moshen, jeune homme moderne et fou amoureux de sa belle épouse, mais qui se sent perdre pied, qui n'ose pas se révolter mais sait bien que son comportement n'est pas à la hauteur de ce que mériterait la brillante Zunaira; il voudrait faire plus, il voudrait la libérer, lui offrir autre chose, mais n'ose pas, ne peut pas. Et puis Zunaira, pétillante, intelligente, rebelle mais que la tragédie rattrapera inexorablement, rayon de soleil qui ne peut plus rien, seule contre la nuit sans fin qui s'abat sur la ville.

La question du fanatisme religieux et de ses désastreuses conséquences est bien évidemment posée dans ce roman. Comment l'obscurantisme agit-il sur l'esprit humain ? Comment le dépossède-t-il de son libre arbitre ? Comment le transforme-t-il en pantin incapable de toute décision personnelle ? On se croirait presque dans une pièce de Racine, les personnages sont devenus des marionnettes, non pas aux mains d'un cruel destin venu des cieux, mais aux mains de personnages despotiques qui se sont substitués à lui. On ressent l'étouffement et l'impuissance qui transpirent par tous les pores de leur peau, la résignation, même lorsque surgissent quelques réminiscences de temps pas si anciens mais presque oubliés. Et puis la question de la place des femmes dans cette "société" est également essentielle : c'est le refus de cette dignité volée, ce dernier souffle de fierté et de révolte, qui conduira Zunaira à sa perte. Le discours de Mirza sur les femmes est édifiant, rejetant sur elles l'incapacité des hommes à les comprendre et les comparant à des vipères, ce qui vient justifier à leur égard toutes les cruautés : entre autres, la lapidation, châtiment ultime et suprême humilation, qui au-delà même de la sauvagerie et de la barbarie qu'elle affiche comme un étendart, ne nécessite rien de moins que la collaboration du public; la femme est donc condamnée, non seulement par le régime en place, mais par la société toute entière, qui participe activement à son exécution. 

Ce roman est profondément émouvant car les quatre personnages principaux le sont, poussant immédiatement le lecteur à l'empathie; grâce à la très belle plume de Yasmina Khasdra, on y est, dans cette Kaboul en ruines, princesse millénaire détruite par la folie de quelques hommes. Le langage est  fluide, parfois poétique, philosophique même, posant avec des mots simples des questions essentielles, la vie, la mort, l'amour, la résistance, la lutte, l'abandon de soi... La question de l'identité, aussi. Qui est-on, qui s'autorise-t-on à être sous un régime despotique comme celui des Talibans, qui vous vole jusqu'à la plus petite parcelle d'identité ? Ce monde apocalyptique, nous pourrions tout aussi bien le rapprocher d'évènements passés, de tout ce qui a eu lieu, par exemple, dans les camps de la mort, la perte de repères, d'identité sous le joug d'une haine aveugle, que d'écrits dystopiques comme 1984 d'Orwell, ce monde d'êtres réduits à l'état de zombies, où les émotions et la joie de vivre n'ont plus leur place, où tout est sous contrôle. Mais ça ne se passe ni dans le passé, ni dans le futur, ça se passe maintenant, sur notre Terre, dans le monde dans lequel nous vivons, ailleurs bien sûr, et si près pourtant. De quelles armes disposons-nous ? L'instruction, sans aucun doute, la culture, les livres. Il faut mettre des mots sur tout cela pour le penser et cela, Yasmina Khadra le fait merveilleusement bien.

Les hirondelles de Kaboul - Yasmina Khadra
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M
Un livre que j'ai déjà lu et que je compte bien relire après avoir vu le film ! Merci pour ta critique
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V
Oui, le film est magnifique.
D
De rien, heureuse qu'elle vous ait plu ! J'espère que vous aurez plaisir à voir le film, je l'ai beaucoup apprécié.