La commode aux tiroirs de couleurs - Olivia Ruiz

"On peut faire quelque chose de beau en assassinant le silence."

Olivia Ruiz

Quatrième de couverture

A la mort de sa grand-mère, une jeune femme hérite de l'intrigante commode qui a nourri tous ses fantasmes de petite fille. Le temps d'une nuit, elle va ouvrir ses dix tiroirs et dérouler le fil de la vie de Rita, son Abuela, dévoilant les secrets qui ont scellé le destin de quatre générations de femmes indomptables, entre Espagne et France,  de la dictature franquiste à nos jours.

La commode aux tiroirs de couleurs signe l'entrée en littérature d'Olivia Ruiz, conteuse hors pair, qui entremêle tragédies familiales et tourments de l'Histoire pour nous offrir une fresque romanesque flamboyante sur l'exil.

Tu sais quoi mi vida ? On s'en fiche, cette histoire c'est la nôtre, que ça leur plaise ou non. Je serai tes origines, tu seras mes racines, et on s'inventera la vie qui nous plaira. On ira où on voudra, on sera qui on a envie d'être, et on s'écrira un avenir fantastique, ensemble. Notre histoire, je te la livrerai et tu en feras ce que tu voudras. Je te raconterai que tu descends de deux lignées de combattants, disparus pour leurs idées. Je te lirai ce cahier écrit par la main et le coeur de ton père. Des phrases et poèmes d'hommes et de femmes qui l'ont inspiré. Des mots à lui, en vrac, et du feu entre les lignes. Je t'apprendrai ma langue, et si tu le décides, ce sera la tienne.

La commode aux tiroirs de couleurs, Olivia Ruiz, Ed JC Lattès 2020, p.75

Rita, 10 ans, fille de républicains espagnols, est envoyée par ses parents avec ses soeurs, Leonor et Carmen, en France chez son oncle el tío Pepe, à l'abri du régime franquiste. Par centaines de milliers, les réfugiés arrivent en France. Les conditions terribles de leur arrivée et de leur accueil dans des camps, loin d'inspirer l'empathie de la population, inspire la méfiance et le rejet, y compris de la part du tío Pepe. Comme beaucoup d'espagnols, Rita n'aura alors plus qu'un objectif : passer inaperçue, se fondre dans la masse, effacer de son visage cette étiquette d'immigrée qui la rend indésirable aux yeux des français. Souvent, c'est dans la vie en communauté, auprès des siens ou d'autres "marginaux" qu'elle trouve le soutien qui lui permet de subsister matériellement, de survivre moralement, de vivre tout simplement, parmi ces gens au grand coeur avec qui elle peut se permettre d'être vraiment elle-même. Car malgré ce qu'elle tente maladroitement de dissimuler, c'est toute l'Espagne qui coule dans les veines de Rita, cette femme forte, autoritaire, passionnée, amoureuse, sensuelle, animée d'une soif de vivre indescriptible et d'un amour infini qu'elle distille auprès des siens jusqu'à son dernier soupir.

Ce souffle de vie, cette tempête qui anime Rita, on les retrouve à chaque ligne de l'écriture d'Olivia Ruiz qui nous livre, au-delà d'une très belle fresque sur l'exil et ses douleurs, une touchante saga familiale et un plaidoyer contre l'oubli. Dans ce livre, les vives couleurs d'Almodovar,  symboles de la movida espagnole, qui n'est autre chose, au fond, qu'un magnifique exemple de résilience et un pied-de-nez au passé, se mêlent subtilement à un humour tendre et mordant à la fois qui n'est pas sans rappeler Pas pleurer de Lydie Salvayre avec qui La commode aux tiroirs de couleurs partage une identique volonté de mémoire et d'hommage. Tandis que son Abuela chérie vient tout juste de s'envoler pour l'autre monde, la jeune femme fébrile et impatiente, avide de réponses, tente de combler l'immense vide qui l'envahit en ouvrant un à un, en une seule nuit, les dix tiroirs arc-en-ciel de la commode qui la faisait tant rêver lorsqu'elle était enfant ; chacun renferme un objet emblématique qui lui permet de connaître un peu mieux son Abuela. Elle tourne à la fois les pages de son histoire et de celle du pays de ses racines. A travers cet héritage tendre et original, dans cette conversation entre femmes au-delà de la mort, Rita a brisé le silence, sans non-dits, sans tabous.

Si l'on connaissait l'Olivia Ruiz chanteuse, l'auteure ne nous déçoit pas tant son écriture est, à son image, à la fois pétillante, poétique et passionnée. Elle éclot peu à peu pour capturer la lumière de Rita et nous en inonder. Une très belle lecture pour une entrée en littérature convaincante que l'on espère n'être qu'un début.