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"Des livres et vous", pour penser les mots et s'envoler, libres, vers d'autres temps et d'autres horizons...

Des livres et vous

La terre qui penche - Carole Martinez

Un conte dépaysant qui vous emporte loin, très loin, aux frontières de l'imaginaire, de la vie et de la mort...

La terre qui penche - Carole Martinez

4ème de couverture

Blanche, la môme chardon, est-elle morte en 1361 à l'âge de douze ans comme l'affirme son fantôme ? Cette vieille âme qu'elle est devenue et la petite fille qu'elle a été partagent la même tombe. L'enfant se raconte au présent et le vieillesse écoute, s'émerveille, se souvient, se revoit vêtue des plus beaux habits qui soient et conduite par son père dans la forêt sans savoir ce qui l'y attend. Veut-on l'offrir au diable pour que le mal noir qui a emporté la moitié du monde ne revienne jamais ? 

Un voyage dans le temps sur les berges d'une rivière magnifique et sauvage, la Loue, par l'auteur du Domaine des murmures et du Coeur cousu.

A tes côtés, je m'émerveille.
Blottie dans mon ombre, tu partages ma couche.
Tu dors, ô mon enfance.
Et, pour l'éternité, dans la tombe, je veille.
Tout aurait dû crever quand tu as gagné ton trou, gamine.
Au lieu de quoi la vie a dominé, sans joie.
Seule la rivière a tenté quelque chose pour marquer ton départ, ma lumineuse.

La terre qui penche, Carole Martinez, Ed. Gallimard 2015, p.13

Source de la Loue

Source de la Loue

Nous voici donc de retour au Moyen-Âge, au domaine des Murmures, là où, deux siècles plus tôt, le jour de ses noces, Esclarmonde décida de s'emmurer vivante pour se consacrer a Dieu plutôt que d'épouser qui elle n'aimait pas, avec pour seule ouverture sur le monde extérieur une fenestrelle pourvue de barreaux par laquelle on lui glissait quelque nourriture (Du domaine des Murmures, Carole Martinez)

Cette fois-ci, c'est dans la tombe de Blanche que nous entrons, une petite fille morte à l'âge de douze ans sur laquelle veille la vieille âme qu'elle est devenue. Elle se raconte au présent tandis que la vieille âme bienveillante raconte au passé les souvenirs qu'elle croit garder comme des trésors, souvenirs cruels, parfois embellis, lointains, incertains. Frêle et délicate, Blanche fait ses premiers pas de jeune fille sur cette terre qui penche, celle qui borde la Loue, rivière tendre et cruelle, qui tour à tour berce et ensevelit. Dans une ambiance à la fois brutale et onirique, toutes les formes du vivant et de la nature se mêlent, l'enfant-poisson, la femme-rivière, le cheval-terre, la môme-chardon. Le paysage vit, prend part à l'action, enveloppe les personnages, protecteur ou destructeur.

On peut distinguer nombre de réflexions dans ce récit, sur la condition des femmes, sur l'enfance, sur ces instants gardés dans l'écrin du souvenir. Une histoire de femme, encore, avec cette petite Blanche à qui son père a choisi un époux, Aymon, un simple d'esprit dont la douce innocence, dans ce monde moyenâgeux barbare et sans pitié, finit par l'attendrir et la séduire. Une jeune fille de caractère donc, que cette petite Blanche qui, par son seul rêve d'apprendre à lire et à écrire, défie ce destin qu'elle porte comme un fardeau : obéir. Il ne faut pas être trop terre-à-terre pour apprécier ce roman à sa juste valeur, il ne faut pas chercher à tout comprendre, tant le rêve et la réalité, le réalisme et la poésie, se mêlent avec subtilité. Il faut simplement se laisser porter par la Loue, ce fil conducteur qui scelle le destin de tous les personnages, se laisser emporter par les mots sans chercher à se débattre dans les griffes du pragmatisme, lâcher prise. J'ai retrouvé encore une fois les délices du réalisme magique, que j'avais découvert dans la littérature latinoaméricaine, notamment chez le maître García Márquez, et que j'avais retrouvé avec tant de plaisir dans le Coeur cousu. Les mots sont là pour être beaux, pour faire rêver, pour créer une réalité étrange et insoupçonnée dans cette poésie en prose dont on relit des passages juste pour leur beauté et le merveilleux talent de conteuse de Carole Martinez.

 

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