Miroir de nos peines - Pierre Lemaitre

L'auteur parvient à mêler avec brio le drame, l'émotion, l'humour noir et l'ironie pour nous entraîner dans un récit haletant aux multiples coups de théâtre et rebondissements.

4ème de couverture

Avril 1940. Louise, trente ans, court, nue, sur le boulevard du Montparnasse. Pour comprendre la scène tragique qu'elle vient de vivre, elle devra plonger dans la folie d'une période sans équivalent dans l'histoire, où la France toute entière, saisie par la panique, sombre dans le chaos, faisant émerger les héros et les salauds, les menteurs et les lâches... Et quelques hommes de bonne volonté.

Il fallait toute la verve et la générosité d'un chroniqueur hors pair des passions françaises pour saisir la grandeur et la décadence d'un peuple broyé par les circonstances.

Secret de famille, grands personnages, puissance du récit, rebondissements, burlesque et tragique... Le talent de Pierre Lemaitre, prix Goncourt pour Au-revoir là-haut, est ici à son sommet.

"Voilà ! hurla le sous-directeur. L'armée française est chargée de faire la guerre, soit. Mais il ne sert à rien de mettre des canons en batterie si les hommes qui les manoeuvrent n'ont pas une mentalité de vainqueur. Et pour cela, ces hommes doivent se sentir soutenus, ils ont besoin de notre confiance ! La France tout entière doit y croire à cette victoire, comprenez-vous ! Toute la France !"
Il s'était planté devant Désiré, qui le dépassait d'une tête.
"C'est pour cela que nous sommes ici. En temps de guerre, une information juste est moins importante qu'une information réconfortante. Le vrai n'est pas notre sujet. Nous avons une mission plus haute, plus ambitieuse. Nous, nous avons en charge le moral des Français [...]"

Miroir de nos peines, Pierre Lemaitre, Ed Albin Michel 2020, p.131

Si Miroir de nos peines est le dernier volet de la fantastique trilogie démarrée avec Au-revoir là-haut, puis Couleurs de l'incendie, il pourrait aisément se suffire à lui-même. Cette fois encore, il s'agit d'une fresque historique magnifiquement bien documentée et détaillée, ayant pour toile de fond l'exode de 1940. On y retrouve pour personnage principal Louise Belmont, la fille de la propriétaire du logement de Maillard et Péricourt, les deux protagonistes d'Au-revoir là-haut, à leur retour de la guerre en 1918. Petite fille lors du premier opus, Louise, maintenant âgée de trente ans, institutrice de métier et à ses heures perdues serveuse au restaurant de M.Jules, La petite bohême, suite à un coup de théâtre qui bouleverse sa vie, part à la poursuite de ses secrets de famille.

Trois autres personnages se détachent : Raoul Landrade et Gabriel, deux soldats français, et le mystérieux Désiré Migaud, étrange caméléon sorti on ne sait d'où. Tout cet hétéroclite petit monde se retrouve entraîné dans la débandade de l'armée française face à l'inexorable avancée des troupes allemandes. Pierre Lemaitre brosse de ses personnages des portraits à la psychologie fine et détaillée, terriblement attachants et criant d'humanité et, comme à son habitude, il maîtrise à la perfection la mise en lumière de l'absurde, se plaisant à faire ressortir les contradictions tant des protagonistes que des situations, sur lesquels il pose un regard sans concession : une armée française aux décisions toutes plus abracadabrantes les unes que les autres devant une situation devenue incontrôlable, une politique du mensonge savamment orchestrée qui n'est pas sans rappeler la période de gloire du stalinisme. Quant aux personnages, ils ont un point commun : leur pays en train de tomber aux mains de l'ennemi. Mus par la peur, le désespoir, l'amour ou l'appât du gain, jusqu'à se retrouver dans des situations invraisemblables - courir nue au beau milieu de Paris ou bien à se promener en plein exode avec des millions de francs dans un sac à dos - chaque personnage, dans ce contexte dramatique, devra sur le chemin de l'exode trouver sa propre voie, celle de la trahison ou bien celle de l'entraide et de l'empathie, et devra user de toutes ses forces pour sauver sa vie ou celle des autres.

Si j'avais un peu moins apprécié Couleurs de l'incendie, où j'ai eu beaucoup de mal à m'attacher au personnage de Madeleine Péricourt, j'ai retrouvé dans ce dernier volet le même plaisir de lecture qu'à la découverte d'Au-revoir là-haut. L'auteur parvient à mêler avec brio le drame, l'émotion, l'humour noir et l'ironie pour nous entraîner dans un récit haletant aux multiples coups de théâtre et rebondissements, mais pas seulement... A travers son humour décalé, Pierre Lemaitre nous engage également à une réflexion plus que jamais d'actualité sur le rôle de la presse et de l'information en situation de crise, et sur la capacité de l'être humain à laisser apparaître, dans un contexte dramatique, ce qu'il a de pire ou de meilleur.